L’Ariège trop peu connue

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Nichée sous les sommets enneigés des Pyrénées, l’Ariège est un département relativement peu connu en France, même par les Français. Alors que j’y étais propriétaire d’une petite auberge, non loin de la ville de Saint-Girons, j’ai perdu le compte du nombre de personnes qui appelaient pour demander où se trouvait exactement l’hôtel en France. Mais quand on y va, on commence à se rendre compte que les Français ne sont pas les seuls à avoir oublié cette région étonnante qui se trouve à la frontière avec l’Espagne. Il semble que le temps lui-même l’ait oubliée.

La vie en Ariège

En visite en septembre, la première impression est que tout est vert. En passant en Espagne ou en Andorre, la terre devient brune, desséchée et altérée par le soleil implacable. Mais ici, dans le Couserans, en Ariège, les collines restent luxuriantes et verdoyantes, même après la chaleur d’un été français, à l’abri des intempéries par les Pyrénées. Et en septembre, elles sont à leur meilleur. En attendant les premières chutes de neige, les alpages sont accessibles, les humbles crocus d’automne éclaboussent les champs de violet et de jaune, tandis que les plus perspicaces peuvent apercevoir un ou deux cerfs-volants rouges planer au-dessus de leur tête.

Nous partageons les collines avec des troupeaux de bétail dispersés. Nous faisons de longues promenades le long des lacs de montagne, dont les eaux sont encore fraîches malgré les efforts de l’été, et nous visitons les ruines du château de Mirabat, situé au-dessus de la vallée de Salat, pour avoir une vue imprenable sur les sommets qui nous séparent de l’Espagne. Sur le chemin du retour, nous rencontrons une vieille dame, courbée par l’âge, le visage tapissé d’années de vie en plein air. Elle est avec un petit troupeau de moutons qu’elle conduit de champ en champ et elle nous régale avec des récits de sa jeunesse. Les collines, dit-elle, sa large main balayant le panorama des arbres pour tout englober, ont changé. De son temps, elles étaient gérées. Des gradins abrupts y étaient construits, la forêt était coupée et la terre cultivée. Aujourd’hui, elles sont à nouveau dépassées par la nature. Elle secoue la tête, puis nous souhaite de bonnes vacances, en sifflant le chien qui s’est couché patiemment à l’ombre avant de poursuivre son chemin, les moutons avançant devant elle. Au fur et à mesure qu’elle avance, nous remarquons la vérité de ce qu’elle dit, les terrasses taillées il y a longtemps dans les collines, des flancs autrefois étayés de murs de pierre qui sont maintenant délogés et qui s’effritent…

Alors que le ciel commence à s’assombrir, nous sommes prêts pour notre repas du soir. Une salade garnie de Rogallais est suivie d’une bonne assiette de cassoulet. Les querelles sur les origines du plat suffisent à mettre à mal les gourmands passionnés, mais ce soir, je me moque de savoir qui l’a créé. C’est exactement ce qu’il me faut. Saucisse de Toulouse piquante, haricots de Pamiers, la ville voisine, et confit de canard. Je ne pense pas que je pourrai gérer un autre morceau mais succomber aux tentations d’une tranche de croustade de l’Ariège : des couches de pâte feuilletée enrobant des prunes. Peu de temps après, je tombe dans mon lit, apaisé par la lointaine berceuse des cloches de vache.

Mais l’Ariège, ce n’est pas seulement du pastoralisme. Saint-Girons, capitale du Couserans, est un lieu prospère, mais avec un air de détente qui convient à l’Ariège. Ses rues sont bordées de cafés et de petites boutiques sur mesure qui vous invitent à vous attarder et à flâner. Une visite le samedi vous permettra de prendre la véritable mesure de Saint-Girons avec le légendaire marché qui se déroule le long des Champs-de-Mars, sur les rives de la Salat. Les étals sont installés sous les grands platanes qui offrent un couvert saisonnier et la variété des marchandises proposées est stupéfiante. Aux côtés des vendeurs professionnels qui vendent du fromage dans un camion frigorifique ou du boucher qui propose des morceaux de viande fraîche provenant des fermes locales, se trouve une vieille dame avec un panier de pommes de terre, un petit bouquet de carottes et un poulet qui semble plus âgé qu’elle. Elle est assise sur son tabouret, en conversation constante, et vérifie de temps en temps que le poulet ne s’est pas échappé.

Le marché est devenu si grand, en raison de sa popularité croissante, qu’il s’étend maintenant de sous les platanes et autour du bureau de poste. Lorsque la bousculade et la foule sont devenues trop importantes, nous montons la colline jusqu’au site historique de Saint-Lizier, avec son imposant palais épiscopal du XIVe siècle qui nous domine. Officiellement classé parmi les plus beaux villages de France, c’est une oasis de calme. D’étroites rues pavées s’enroulent autour de maisons médiévales à colombages, des ruelles qui serpentent à l’abri des regards attirent le visiteur curieux et puis, d’une manière ou d’une autre, on ne sait pas trop comment, on surgit soudain au sommet de la ville, sous les épais murs de pierre du Palais épiscopal. Et la vue ! Elle vous coupe le souffle. Mais comme c’est la France, il y a toujours un café au coin de la rue où vous pouvez vous asseoir et vous remettre, en admirant le paysage tout en vous attardant sur un long déjeuner dans ce lieu qui vit très au ralenti.